Mardi 15 Janvier 2008
Bâtir, ou ne pas bâtir ?
Suite à une question de Souane "Dis, est-ce que tu "bâtis" tes textes, même lorsque c'est pas censé être une "pièce littéraire" ?", je poste ici ma réponse (d'abord parce qu'elle ne rentre pas dans un mini message, ensuite parce qu'on ne sait jamais, peut-être que ça intéresse d'autres personnes).

Je ne bâtis presque jamais un texte. En tout cas, pas vraiment comme on peut le penser : je ne fais pas au préalable un organigramme des évènements ou quoi que ce soit.
Généralement, je pars d'une idée directrice qui est un "pet de l'esprit". Un truc dont j'ai rêvé, une réflexion toute bête, plus rarement l'aboutissement d'une convergence de différentes idées.
Une fois que j'ai un élément fondateur, j'y réfléchis énormément avant de commencer à écrire (parfois plusieurs années). J'y pense le soir avant de m'endormir, la journée quand je m'ennuie. Je construis un univers pour lequel je vais oublier des éléments, en créer de nouveaux, etc.
Puis, un beau jour, je vais commencer à écrire.
Suivant mon objectif final, je vais soit revenir le moins possible sur ce que j'écris, pour conserver une évolution du style qui colle avec une évolution de l'intrigue (ça a été un choix assumé pour 12rdB, par exemple), soit reprendre sans cesse mon travail pour lui donner une uniformité, quitte à écrire moins linéairement (plus par bouts différents, avec des notes de part et d'autre que je vais - ou pas - intégrer à un élément central).
Généralement, je sais où je vais exactement avant même d'avoir écrit le premier mot, mais je ne sais pas (vraiment) comment je vais y arriver.
Je ne fais pas de distinction entre "pièce littéraire" et autre écrit, même une carte postale (la seule différence étant que, pour une carte postale, j'ai rarement le temps de faire reposer et digérer ce que je vais écrire).

En fait, ce temps de digestion est indispensable pour avoir un univers cohérent ; je dois avoir assimilé assez d'éléments pour que, si à un moment donné on me demande "oui, mais il se passe quoi là-bas ?", je puisse répondre même si ça n'a aucun rapport avec la trame initiale. Très égoïstement et nombrilistement, je suis le dieu omnipotent de mon univers, je le sais, je l'assume, mais ça implique de savoir (et s'astreindre) à des limites (c'est à dire que mon omnipotence est liée à un ensemble de contraintes que j'ai bâties intérieurement).

Ce temps de digestion peut être très rapide (par exemple si on me demande de raconter une histoire sur le vif). L'avantage de faire cet exercice assez régulièrement est que, dans de telles situations, on peut emprunter à un univers déjà construit (on peut aussi emprunter des morceaux à l'univers d'un autre auteur, de façon plus ou moins assumée). Concrètement, dès le moment où je commence mon histoire, je sais déjà que je n'ai pas le droit de prendre certains chemins parce que je vais trahir mon univers (donc moi-même, ainsi que mon lecteur ou mon auditeur).

Il me semble avoir lu de Pullman qu'il avait une méthode qui me plait beaucoup : pour faire un livre qui va se passer dans le grand Nord, il se documente, il lit énormément sur la vie des Inuits, sur l'organisation de la faune et de la flore dans le grand froid, sur les habitudes de vie, les cycles du soleil, etc. Puis il brûle tout et fait commencer son histoire dans une ville du moyen âge.
Avoir un maximum de culture, s'enrichir le plus possible d'éléments sociologiques, ethnologiques, géographiques, animaliers, géologiques ou tout ce qu'on veut est fondamental non pour créer un unique univers, mais pour avoir le plus de choix possibles dans le processus créatif.

Finalement, je pose la notion d'univers au-dessus de celle d'histoire (probablement parce que je sais de quoi je peux parler et où je veux aller avant même de situer l'histoire, ce qui fait que ce n'est même pas une question que je me pose). Si on a un univers cohérent, on peut toujours s'en sortir.
Avoir un univers cohérent ne veut pas dire qu'on va le décrire intégralement, au contraire. Ca veut dire que si le héros doit circuler dans un couloir le long duquel se trouvent cent cinquante portes closes, je vais être capable de dire (même si c'est juste pour moi) ce qu'il y a derrière chaque porte.

Je pense aussi que j'ai été très marqué par l'univers cinématographique et les aboutissements qu'il a pu avoir dans le monde du jeu vidéo. Je m'imagine régulièrement mettant en pause une scène que j'écris pour tourner dans la pièce, soulever les livres, regarder tout ce que je peux. S'il reste une zone noire quelque part ou si j'ai une hésitation à décrire quelque chose, ça veut généralement dire que je n'ai pas assez digéré la scène.

Donc au final, je ne bâtis pas, ou très peu. Par contre, je documente (que ça soit dans une démarche intérieure ou au fil de notes) mon univers le plus possible.
Posté à
16:48
 par Nil -

6. Nil à 12:57 16/01/2008 -
Ben je ne suis pas certain qu'il y ait une grande différence entre les deux techniques que tu décris (qui sont en fait les deux que j'emploie moi-même, au final).
Dans tous les cas, que tu découvres en même temps que le lecteur ou que tu aies construit un univers à l'avance, il y a quelque chose derrière cette porte (enfin, si je comprends bien), tu ne seras jamais pris en défaut, du genre "ah ben non, cette porte ne mène à rien", comme on peut le voir dans certains jeux vidéos où l'univers a une limite.

Ca me rappelle cette anecdote sur je ne sais plus quel réalisateur dans je ne sais plus quel film, où on voit une actrice (je ne sais plus non plus laquelle) se saisir d'une boite dans laquelle sons censés être des diamants. La boite n'est jamais ouverte dans le film, mais le réalisateur a tenu à ce qu'elle soit pleine de diamants, pour la crédibilité du jeu des acteurs et de l'univers.
Bon, ne cherchez pas chez moi lors du prochain open, lorsque je décris une pièce chargée d'ors et de pierreries, je ne la construit pas à l'identique quelque part dans l'appart, hein :o .

5. Myth à 12:29 16/01/2008 -
"Très égoïstement et nombrilistement, je suis le dieu omnipotent de mon univers, je le sais, je l'assume, mais ça implique de savoir (et s'astreindre) à des limites (c'est à dire que mon omnipotence est liée à un ensemble de contraintes que j'ai bâties intérieurement)."

Clairement (et on en avait déjà parlé ^^). Les contraintes dont tu parles sont celles du ./2 ? Personnellement, j'expérimente deux techniques.
- Créer une situation, et me laisser guider par cette situation tout au long du récit en ayant déjà assimilé le cadre dans lequel elle se passe. Ca laisse une grande part à l'improvisation, et c'est d'autant plus savoureux quand j'écris au présent et que je découvre l'histoire au même rythme que le lecteur.
- Créer un univers. Là, la démarche est totalement opposée. Dans ce cas, je procède à la Tolkien. J'ai une intrigue de base que je laisse de côté, et j'écris énormément sur ce qui est secondaire (lieux, personnages, histoire du monde etc...), notamment sous la forme de contes et légendes, ou plutôt de nouvelles, qui me permettent de faire un arbre gigantesque autour duquel j'articule l'intrigue principal. C'est l'idée des 150 portes closes, sauf que dans mon cas, elles sont grandes ouvertes, on voit à travers, mais c'est impossible de les traverser. Ca ne donne pas une impression de profondeur, mais de confort.

Au reste, je suis tout à fait d'accord avec toi sur l'idée d'univers ^^

4. MetalKnuckles à 20:16 15/01/2008 -
Et sinon t'es bien bâti ?
(ouais je sors... %) )

3. Souane à 18:28 15/01/2008 -
ok, donc c'est un peu entre les 2 :) . Maintenant je crois que j'ai ma réponse =)

2. Nil à 17:16 15/01/2008 -
Non, pas du tout, en tout cas pas un travail volontaire ou contraignant (enfin, ou alors c'est sans m'en rendre compte).

J'ai écris de façon totalement linéaire, sans revenir en arrière. Ce qui me permet d'organiser un minimum (je suis conscient que c'est perfectible), c'est quelque chose qui va de pair avec ma notion de cohérence de l'univers. C'est à dire que si j'avais quelque chose à rajouter à un point précédent, c'est trop tard, maintenant je dois assumer le fait d'être passé à autre chose. Ou alors je profite d'un autre point pour faire une petite incise, une parenthèse, mais je ne dois pas revenir sur un point déjà traité (sauf, évidemment, si j'ai loupé le coeur du problème). Ca me permet d'éviter les "j'ai oublié que", ou "ah tiens, oui, il faut que la maison soit rouge, sinon ça marche pas". Donc si je dois indiquer que la maison est rouge dans un récit oral et que j'ai loupé cette information lors de ma description de ma maison, je me débrouille pour faire sortir la "caméra" et dire quelque chose comme "[il] porta son regard sur la peinture rouge défraichie de la maison, se dit qu'elle mériterait un petit coup de pinceau, puis retourna à ses interrogations".
Ca me permet de faire d'une pierre au moins trois coups :
- délayer une information importante au milieu d'autre chose, sans appuyer sur ce fait (le lecteur ou l'auditeur peut se dire plus tard "ah mais oui, elle était rouge, je le savais !", un peu comme quand Agatha Christie donne une information secondaire qui s'avère cruciale pour le dénouement).
- aérer l'intrigue (on accompagne le héros est dans des pensées,
des questionnements, ça peut devenir très rapidement fatiguant pour le lecteur - ou le rédacteur, donc on fait une petite incise, qui correspond d'ailleurs pas mal à la réalité d'une telle situation où, alors qu'on est pris par une problématique, notre cerveau peut s'évader)
- ne pas revenir de façon lourde sur l'évéènement oublié ("ah, j'ai oublié de dire, la maison est rouge, c'est important pour la suite").

1. Souane à 16:57 15/01/2008 -
Merci pour ta réponse #hehe# . Très intéressante :)
Il me faut le temps de la "digérer", maintenant ^_^(oui, ça marche aussi dans ce sens là #oui# ).

En fait, je ne suis pas sûr que ça réponde totalement à ma question, mais c'est pas très grave :D Pour être plus claire : l'une des questions que je me pose, en lisant ta réponse, qui est plutôt bien organisée, c'est "est-ce que Nil a fourni un travail particulier pour l'organiser ou pas ?" =)

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